Une question de confiance
Portrait de Vladimir Ossetchkine, entrepreneur en défense des droits humains
Katia Arenina, avec des contributions de Mikhail Roubine, 11 septembre 2023
Vladimir Ossetchkine, le créateur du site web Gulagu.net, a gagné en notoriété depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. En 2021, il avait publié une vidéo sur les tortures pratiquées dans les prisons russes à la suite de quoi le chef de l’autorité pénitentiaire avait été limogé. Depuis février 2022, Ossetchkine a fait connaître plusieurs témoins de crimes de guerre qu’il aurait aidé à fuir à l’étranger. Mais dans chacune de ces histoires et dans toutes ses activités en général, l’homme d’affaires devenu défenseur des droits de l’homme n’est pas toujours honnête, s’attribuant des « évacuations » qu’il n’a pas vraiment effectuées, et monnayant son aide à l’obtention de l’asile politique en France.
1. Ce que la police a trouvé sur le lieu de l’attentat contre le défenseur des droits
2. La liste complète des « agents du FSB » selon Ossetchkine
3. Comment Ossetchkine gagne de l’argent sur la défense des droits
Quatre hommes en civil, sans se présenter et ne répondant à aucune question, demandent aux journalistes de Proekt d’écarter les bras, puis les pieds à la largeur des épaules. Détecteur de métaux, fouille au corps, inspection minutieuse des sacs. Comme s’il s’agissait de rencontrer un haut dignitaire dans son bureau hautement sécurisé. En réalité, quelques minutes plus tard, nous étions assis face au défenseur des droits humains russe Vladimir Ossetchkine, qui a quitté son pays natal pour la France et s’est installé dans la ville pittoresque et paisible de Biarritz, sur la côte atlantique, autrefois connue en Russie surtout pour le fait que la famille de Vladimir Poutine y avait acheté des résidences de luxe. Ossetchkine est sous protection policière depuis début 2022, quand, selon lui, les services secrets russes avaient « commandité son assassinat aux Tchétchènes ». Nous avons donc été accueillis par le Service de la Protection (SDLP), explique-t-il.
Ossetchkine nous a conviés pour répondre en privé et de visu aux nombreuses questions que nous avions sur son travail. « Je ne me contenterai pas d’y répondre, je vous montrerai tout, à condition que vous signiez un engagement de confidentialité, pour que vous ne vous ridiculisiez pas », avait-t-il écrit dans l’un de ses messages émotifs à Roman Badanine, le rédacteur en chef de Proekt. Dans ces mêmes messages, Ossetchkine accusait notre média d’être aux « ordres du FSB » avec l’objectif de « le traîner dans la boue ». De toute évidence, la conversation à Biarritz n’allait pas être facile.
Le mystificateur
Nous étions là pour une raison précise. Il y a un an, en septembre 2022, Ossetchkine avait prétendu que le FSB avait tenté de le tuer. N’ayant trouvé aucune confirmation solide de cette information, Proekt lui avait adressé de nombreuses questions sur les circonstances de l’incident. Ossetchkine avait refusé d’y répondre par téléphone, invoquant le fait qu’il ne pouvait pas divulguer le contenu de certains documents secrets.

En septembre 2022, lors d’un live nocturne sur YouTube avec la journaliste russe Yulia Latynina, Ossetchkine raconte avoir vu, un soir, le « point rouge » d’un viseur laser sur le mur de sa maison, puis entendu des « coups de feu ». On n’a jamais vraiment su ce qui s’était passé, qui était l’intrus et que faisaient les policiers chargés de sa protection au moment de cette « tentative d’assassinat ». Dans de nombreuses interviews, Ossetchkine a affirmé par la suite que l’ordre de le tuer venait directement de Vladimir Poutine, et s’est comparé aux célèbres opposants russes Boris Nemtsov et Galina Starovoïtova, assassinés tous les deux. Les autorités françaises se sont contentées d’une déclaration prudente, ne voyant aucun élément attestant la version d’Ossetchkine. Lui nous a assurés que les Français avaient délibérément voulu « étouffer la vague médiatique » et a promis de fournir un enregistrement audio confirmant sa version, ce qu’il n’a jamais fait.
Ossetchkine nous a montré un document (reflétant, selon lui, les conclusions de l’enquête) et un enregistrement audio de sa conversation sur la tentative d’assassinat avec un de ses gardes
Mais Ossetchkine avait un autre argument. Il aurait été averti de l’imminence de l’attaque par le célèbre journaliste d’investigation de Bellingcat, Christo Grozev. Mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus. Grozev nous a expliqués que sa source au sein de la police espagnole, dans le cadre d’une autre enquête, avait appris que le bandit Badri Koguashvil, qu’Ossetchkine avait souvent mentionné comme agent du FSB et une menace pour lui, se rendait à Biarritz, et avait demandé à Grozev de transmettre cette information à l’une de ses connaissances. Les Espagnols n’avaient aucune information sur le fait qu’Ossetchkine pouvait intéresser ce personnage. Grozev quant à lui doute de la réalité de cette « tentative d’assassinat ».
Cette histoire un peu louche n’est qu’un des nombreux épisodes dans la carrière d’Ossetchkine, pleine de controverses. Le militant des droits de l’homme qui a gagné en popularité dans le contexte de la guerre en Ukraine, est connu depuis longtemps dans la communauté russe des défenseurs des droits humains comme quelqu’un en qui on ne peut pas toujours avoir confiance. Ces derniers mois, plusieurs transfuges russes, qu’Ossetchkine aurait aidés à sortir de Russie, l’ont constaté à leurs dépens.
Le Sauveur
« Une nouvelle évacuation a été menée à bien. Pour être plus précis, il ne s’agit même pas d’une évacuation, mais d’un passage illégal de la frontière et d’une fuite sous les tirs des agents du FSB », indiquait un post publié par Ossetchkine en janvier 2023 sur sa chaîne Telegram, décrivant la fuite vers la Norvège du mercenaire de Wagner Andrei Medvedev. Cette publication donnait l’impression que c’était Ossetchkine lui-même qui avait organisé l’évacuation

Finalement, ce sont d’autres personnes, souhaitant rester anonymes pour des raisons de sécurité, qui ont aidé Medvedev à passer clandestinement la frontière. Nikita Tchibrine, qui avait lui aussi combattu en Ukraine aurait été « évacué » de Russie de la même manière, dans « l’une des opérations les plus longues » menées à bien, selon Gulagu.net. Tchibrine, cependant, a dit à Proekt que le plan d’Ossetchkine n’avait pas fonctionné et qu’il s’était débrouillé tout seul
Outre Medvedev et Tchibrine, Ossetchkine a rendu publics cinq noms de militaires et agents de forces de sécurité russes repentis qu’il dit avoir aidés à quitter la Russie. Il a assuré à Proekt qu’il y en avait eu d’autres (« pas moins de dix et pas plus de cent »), refusant de divulguer le nombre exact ou les détails. Ossetchkine a finalement accusé au moins trois de ces cinq personnes de crimes de guerre ou de collaboration avec le FSB. Il n’a pas souhaité nous expliquer de quelle façon il vérifiait les identités et le background des individus qui lui demandent de l’aide. Cependant, au cours de notre conversation à Biarritz, il a utilisé le mot « fact checking » au moins une dizaine de fois.
Militaires et agents de forces de sécurité qu’Ossetchkine a « évacués » depuis le début de la guerre
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Aleksander Lissenkov
France
Ossetchkine a présenté Lisenkov comme un ancien agent du FSB. Ossetchkine n'était pas pressé de fournir à Lissenkov l'aide à l'asile prétendument promise, et lorsque ce dernier s'en est offusqué, il a déclaré qu'il n'était pas un ancien agent du FSB, mais un agent actuel.
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Pavel Filatiev
France
Participant à l'invasion russe de l'Ukraine, il a fui le pays avec l'aide d’Ossetchkine, mais ils ont ensuite eu un conflit. Ossetchkine affirme maintenant que Filatiev est un criminel de guerre sous l'influence du FSB. Pour en savoir plus sur leur conflit, voir ci-dessous.
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Fidar Khoubaiev
États-Unis
Khoubaiev, un ancien agent du FSB, a déclaré à Proekt qu’Ossetchkine lui avait sauvé la vie en l'aidant à trouver un itinéraire de la Géorgie vers les États-Unis, en achetant des billets d'avion en classe affaires pour le Mexique et en payant «les meilleurs hôtels». Auparavant, Khoubaïev avait demandé une aide à l'émigration en échange de son témoignage sur son travail pour le FSB à au moins une autre organisation qui, après vérification, a estimé qu'il continuait à travailler pour les services secrets. Ces défenseurs des droits humains ont demandé à ne pas être identifiés pour des raisons de sécurité.
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Konstantine Efremov
États-Unis
Ossetchkine a aidé ce participant à l'invasion de l'Ukraine par la Russie à planifier et à payer un vol pour le Mexique. Efremov a déclaré à Proekt qu'il avait des chose à dire au sujet d’Ossetchkine, mais que ce n'était pas le moment pour cela.
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Maria Dmitrieva
France
Ossetchkine a présenté Dmitrieva comme une médecin ayant servi au ministère de l'intérieur, au ministère de la défense et au FSB. Il lui a proposé de l'aider à obtenir l'asile en France. Une connaissance de Dmitrieva l'a dit à Proekt, mais après son arrivée, il y a eu un conflit entre eux. Dans sa conversation avec Proekt Ossetchkine a supposé que le but de l’arrivée de Dmitrieva était de discréditer Gulagu.net.
Outre ces opérations d’évacuation, Ossetchkine est aussi régulièrement à l’origine de scoops absurdes. Ainsi, le média américain Newsweek, citant une de ses sources « au sein du FSB », a écrit que la Russie allait attaquer le Japon à l’été 2021
Dans une autre interview, citant une « source au sein des services de protection FSO », Ossetchkine a raconté qu’Evgueni Prigojine, le patron des milices Wagner, avait cuisiné de la viande humaine pour Vladimir Poutine. La fois d’après, Ossetchkine s’est appuyé sur une source anonyme pour affirmer que la Russie se préparait à lancer une attaque nucléaire la nuit-même, puis il a diffusé un mème populaire sur internet sur « le père d’une connaissance du FSB ». Il s’agit d’un fake qui ironise sur ceux qui diffusent des messages de panique
Sur fond de guerre en Ukraine et grâce à ses « scoops » largement diffusées, l’audience des chaînes Youtube et Telegram de Gulagu.net, en langue russe, a plus que doublé

L’apothéose du « factcheking » façon Ossetchkine a été son interview de deux Russes qui se sont présentés comme des mercenaires du groupe Wagner recrutés dans les prisons.
Le plaignant
En fait, presque tous ceux qui entrent en conflit avec Ossetchkine finissent par être désignés comme des « agents du FSB », des « agents du Service fédéral des prisons » (FSIN) ou des « criminels de guerre », sans qu’aucune preuve n’en soit jamais fournie. Proekt a comptabilisé plus de 20 cas d’accusations de cette nature, qui, pour certains, ont eu des conséquences dramatiques.
Le scandale le plus retentissant, en France, a été celui entre Ossetchkine et le premier militaire qu’il a aidé à quitter la Russie en août 2022, Pavel Filatiev. Membre d’un régiment de parachutistes de l’armée russe, Filatiev a passé deux mois sur le front, au tout début de l’invasion. Opposé à cette guerre, il parvient à quitter le champ de bataille pour cause de maladie et, à son retour, écrit un livre anti-guerre (ZOV est sorti en France aux éditions Albin Michel). Filatiev publie son récit sur internet et demande dans le même temps à Gulagu.net de le traduire et de gérer les droits de publication à l’étranger. Toutes les recettes étaient destinées à l’Ukraine et Filatiev craignait que s’il se faisait arrêter en Russie, son livre ne paraitrait pas à l’étranger. Au départ, Ossetchkine n’a manifesté aucun intérêt pour l’aventure éditoriale, mais lorsque plusieurs maisons d’édition ont promis à Filatiev des à-valoir conséquents, les yeux d’Ossetchkine se sont « illuminés », selon les mots de Filatiev. À ce moment-là, le para avait déjà réussi à quitter la Russie et aurait pu conserver ses droits, mais Ossetchkine l’a convaincu qu’il serait plus facile de transférer l’argent aux Ukrainiens par l’intermédiaire de sa fondation New Dissidents Foundation (NDF), enregistrée en France.

La collaboration n’a pas duré, notamment parce que la fondation d’Ossetchkine n’a pas réussi à fournir aux différents éditeurs les documents nécessaires pour les transferts d’argent.
Dans un autre épisode pas très clair, Ossetchkine est allé personnellement dénoncer au FSB l’une de ses connaissances, qu’il accusait de travailler pour ce même FSB. Il s’agit de Pavel Chtchetinine, venu en France à l’invitation du défenseur des droits de l’homme. Jusqu’en 2016, Chtchetinine a été employé au FSIN où la direction aurait essayé de l’impliquer dans des schémas de corruption et, après son refus, l’a forcé à démissionner. Ossetchkine a publié cette affaire sur Gulagu.net et promis à Chtchetinine de le faire sortir de Russie et de lui fournir une protection internationale
Peu après, Chtchetinine a été arrêté par Interpol à la demande de la Russie. Après avoir enquêté sur son cas, les services français l’ont relâché, et c’est alors que Chtchetinine a découvert que c’était Ossetchkine qui avait révélé sa localisation au FSB, à la suite de quoi Moscou a envoyé une demande d’extradition. Ossetchkine s’est également plaint de Chtchetinine auprès de l’autorité française chargée des réfugiés (OFPRA). Chtchetinine s’est vu refuser l’asile dans un premier temps, mais a obtenu gain de cause en appel. Ossetchkine assure aujourd’hui que Chtchetinine « était et est toujours en contact avec le FSB russe ». Il a promis de fournir un enregistrement audio le confirmant, mais ne l’a pas fait.


Dans chacun de ces conflits, le motif était l’argent. Ossetchkine ne raisonne pas comme un défenseur des droits de l’homme, mais comme un homme d’affaires, affirme Anton Tsvetkov, de l’organisation pro-Kremlin « Les Officiers de Russie », qui le connait depuis longtemps. « Il n’a toujours eu à l’esprit que l’argent, l’argent, l’argent », confirme un ancien coordinateur de Gulagu.net, Mikhail Senkevitch.
L’entrepreneur
De l’avis de presque tous ceux qui l’ont fréquenté, Ossetchkine est un homme entreprenant qui sait monter n’importe quel événement en épingle et en profiter pour se faire mousser. Quand il vivait encore en Russie, il était régulièrement invité sur les plateaux télé et à des événements publics, « où il faisait des remarques très cinglantes sur les problèmes du Service pénitentiaire fédéral », et cherchait à « capitaliser » sur ce talent, se souvient Igor Kaliapine, ancien directeur de l’ONG Comité contre la torture (un « agent » du Kremlin selon Ossetchkine, évidemment).

C’est dans une cellule de la maison d’arrêt de Medvedkovo à Moscou, où il était détenu pour escroquerie, qu’Ossetchkine a trouvé le nom de son organisation, Gulagu.net [« Non au Goulag »]. Dès sa libération en 2011, il a créé la structure portant ce nom. En détention provisoire, il a commencé à rédiger des plaintes non seulement pour lui-même, mais aussi pour ses compagnons de cellule. Après sa libération, les proches de ses codétenus l’ont présenté aux journalistes et militantes Olga Romanova et Zoya Svetova, spécialistes du système pénitentiaire russe. Encouragé par elles, l’ex-détenu a commencé à écumer les plateaux télé et à publier des éditos dans le journal Vedomosti. Lors de l’une de ces émissions, il a fait la connaissance d’Anton Tsvetkov de l’association « Les Officiers de Russie », puis, sur Facebook, de Mikhaïl Senkevitch, membre de la Commission de surveillance publique, tous deux déjà étroitement liées aux autorités, et n’inspirant pas confiance aux défenseurs des droits humains.

Tsvetkov se souvient qu’à l’époque, Ossetchkine lui semblait être « une étoile montante des droits de l’homme ». C’est Tsvetkov qui a introduit le nouveau militant auprès du FSIN et du ministère de l’Intérieur, et l’a présenté au député Iaroslav Nilov, qui a créé le Conseil pour le contrôle public à la Douma et a invité Ossetchkine à en faire partie. Senkevitch, lui, l’a présenté au conseil des partisans de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, pour créer une commission pour la protection des droits des détenus.
C’est ainsi que Gulagu.net s’est fait connaître pour la première fois. Pour donner plus de poids à son organisation, Ossetchkine présentait souvent comme coordinateurs et membres de Gulagu.net des défenseurs des droits humains actifs par ailleurs, qui poursuivaient leur travail régulier en publiant également sur Gulagu.net. Le site fonctionnait comme un réseau social : des proches de détenus et des activistes y publiaient des informations, certaines devenaient très médiatisées, les bénévoles de l’organisation transmettaient ces publications aux agences gouvernementales, et Ossetchkine les commentait dans les médias, ne manquant quasiment aucune occasion de passer à l’antenne.
Ayant fait les bonnes rencontres, il a rompu avec Romanova et d’autres représentants de la société civile et de l’opposition au Kremlin, active dans les années 2011-2012, qu’il n’a pas manqués de dénigrer à la moindre occasion. « Il racontait à l’époque qu’il allait pointer à l’administration présidentielle toutes les semaines, se souvient l’ancien coordinateur de Gulagu.net Denis Soldatov. Un jour on lui avait confié la tâche de nettoyer le terrain des droits de l’homme ».
Ses nouveaux amis ont aidé Ossetchkine à commencer à gagner de l’argent, en lui trouvant un emploi dans le projet public urbain de Maxim Nogotkov, le fondateur de la chaîne de magasins Sviaznoï, appelé Iopolis. Il y recevait un salaire mirobolant de 500 000 roubles par mois (environ 12 500 euros selon le change de l’époque), qui constituait le budget de la famille nombreuse d’Ossetchkine et de son organisation. Mais le défenseur des droits de l’homme monnayait aussi ses services au sein de Gulagu.net : des publications sur le site web ou une intervention à propos d’une affaire lors d’une table ronde
C’est précisément à cause d’un incident de cette nature qu’Ossetchkine a quitté la Russie. En 2013, il a présenté Denis Soldatov à Natalia Malinina, la fille d’Oleg Malinine, le vice-préfet du district administratif du sud-est, accusé de corruption passive par sollicitation. Ossetchkine a promis à Malinina des tables rondes à la Douma d’État et des publications sur Gulagu.net et dans les médias, et a demandé à Soldatov d’engager des avocats. Malinina a payé non seulement pour les services des avocats, mais aussi pour des publications
En France, il a d’abord gagné sa vie comme il le pouvait : il prodiguait des conseils juridiques pour 50 000 roubles de l’heure (1200 euros) sans diplôme spécialisée
D’autres personnes qu’Ossetchkine a aidées à partir en France
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Elizaveta Zakamskaïa
La résidente de Kaliningrad dont le mari est décédé dans un centre de détention provisoire a obtenu l'asile en 2019. Elle a déclaré à Proekt qu'elle n'avait « malheureusement rien à dire au sujet d’Ossetchkine ».
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Sergeï Khrabrykh
L'ancien prestataire du ministère de la Défense a fui la Russie et était recherché par Interpol, mais il a obtenu l'asile en France et aide maintenant d'autres personnes à l'obtenir. Khrabrykh a dit à Proekt qu’Ossetchkine l'avait seulement présenté à ses avocats. Il a dit être au courant des plaintes déposées contre Ossetchkine, et qu'il les considérait comme justes, mais qu'il connaissait également des personnes que ce dernier avait réellement aidées.
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Sergeï Saveliev
Ancien détenu, il a remis à Ossetchkine des archives de vidéos de torture dans les colonies pénitentiaires russes. Saveliev travaille aujourd'hui au sein de Gulagu.net.
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Roman Rouguevitch
En novembre 2022, Ossetchkine a déclaré qu'il avait evacué « un défenseur des droits de l’homme et l’auteur de la chaîne Antipytki [Anti-torture]». Proekt n'a pas été en mesure de trouver des références aux activités de Rouguevitch en matière de défense de droits de l’homme ailleurs que sur les réseaux d’Ossetchkine.
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Famille de Valeri Pchenitchni
Ossetchkine a aidé la famille de l’homme d'affaires tué dans un centre de détention provisoire à obtenir l'asile en France. Son fils, Denis Pchenitchni, travaille aujourd'hui au sein de Gulagu.net.
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Nikolaï Aplesnine
Ossetchkine a aidé cet habitant de Donetsk, qui avait purgé une peine en Russie pour meurtre et vol et qui a révélé des cas torture dans sa prison sur la chaîne Gulagu.net, à obtenir l'asile en France.
En 2019, alors qu’Ossetchkine se trouvait déjà en France, une nouvelle procédure pénale a été engagée contre lui en Russie, pour fraude à l’assurance. Ossetchkine avait eu l’idée peu après sa sortie de prison en 2011 : si un détenu ayant souscrit une assurance était battu jusqu’à l’invalidité ou la mort par des agents du FSIN, la compagnie d’assurance lui verserait une indemnité, à lui ou à sa famille, et récupérerait ensuite l’argent auprès du FSIN par l’intermédiaire des tribunaux. Ayant échoué à faire passer un projet de loi en ce sens, Ossetchkine s’était arrangé pour vendre lui-même des contrats d’assurance avec un ami assureur, Mikhaïl Shneiderman. Mais pour être indemnisés, les détenus devaient faire l’impossible : obtenir des documents de la prison confirmant les faits de violence commis par les geôliers. Ossetchkine, lui, expliquait différemment le fonctionnement de ces contrats: les matons avaient peur et les détenus assurés n’étaient pas violentés. Cela n’a pas toujours fonctionné
Comme beaucoup d’autres épisodes dans sa vie, Ossetchkine a expliqué cette affaire comme une opération spéciale du FSB contre Gulagu.net. Cependant, nombreux sont ceux qui soupçonnent que c’est Ossetchkine qui travaille pour les services russes. Probablement parce qu’Ossetchkine était effectivement en contact avec des agents des forces de sécurité influents.
L’agent
Il y a dix ans, Ossetchkine appelait activement les législateurs à ne pas se retenir dans la préparation d’une nouvelle loi sur les ONG-agents de l’étranger. Il critiquait violemment les défenseurs des droits de l’homme reconnus et respectés, et notamment Valery Borchtchev, le chef de la Commission d’observation publique de Moscou, dont les membres ont le droit de rendre visite aux détenus dans les prisons. C’est Ossetchkine qui, en 2013, a contribué à l’éviction de Borchtchev de la tête de la Commission. « Il s’est battu très activement contre les militants des droits de l’homme, disons, pro-occidentaux », se souvient Tsvetkov. « Il les dénonçait en disant qu’ils vivaient de subventions, alors que lui était un véritable patriote ». C’est Tsvetkov, avec le soutien d’Ossetchkine, qui est devenu alors le nouveau chef de la Commission d’observation publique de Moscou.

En 2014, au moment de l’annexion de la Crimée, Ossetchkine l’a d’abord soutenue sur les réseaux sociaux. On l’a aperçu dans un rassemblement du mouvement « Antimaïdan »
Ossetchkine y a prononcé un discours « contre toute révolution et tout trouble de masse ». Par la suite, il s’est repenti au sujet de la Crimée, et avancé des explications pour sa présence dans les rangs des partisans du Kremlin : on lui avait dit que « des hommes armés frapperaient les manifestants », il était là pour « empêcher la violence ». Ossetchkine s’est défendu aussi d’avoir été pro-pouvoir : « C’était une stratégie qui consistait à utiliser un cheval de Troie pour rentrer dans le système pour le changer », dira-t-il dans une interview.
Ce qui ressort de ses publications sur les réseaux sociaux, même récents, c’est qu’Ossetchkine est très fier de ses liens avec des haut gradés des forces de sécurité

Le plus grand soupçon qu’Ossetchkine travaille pour les services russes a été éveillé par la publication sur Gulagu.net de 2 téraoctets d’enregistrements provenant des caméras de surveillance de l’hôpital pour tuberculeux pénitentiaire de Saratov (OTB-1), en 2021. Ces « archives secrètes du FSIN et du FSB », montrent des détenus qui torturent et violent d’autres détenus, filmés par le personnel de la prison. Les fichiers ont été remis à Ossetchkine par Sergei Saveliev. Ce dernier a purgé une longue peine dans l’OTB-1, où il était responsable du réseau informatique. Durant des années, il a collecté et conservé les enregistrements et, lors de sa libération, a pu sortir le disque dur. Fait rare en Russie de nos jours, la publication de ces fichiers a été rapidement suivie d’une réaction des autorités : plusieurs affaires pénales, des licenciements dans la branche du service pénitentiaire de Saratov, et même le limogeage du chef du Service pénitentiaire fédéral Alexandre Kalachnikov. « Je pense qu’il s’agit d’une opération spéciale du FSB, dont le but était d’éliminer Kalachnikov », avait expliqué Olga Romanova, fondatrice de l’ONG Rus Sidiashchaïa qui défend les droits des détenus.

Le dossier d’enquête sur l’accès illégal à des informations numériques, qui a été ouverte après la première publication des vidéos de torture peut donner une idée sur ce qui s’est passé. Saveliev n’avait pas l’intention de révéler son identité ni de quitter la Russie mais les forces de l’ordre ont eu accès aux mails d’Ossetchkine après la première fuite et ont découvert l’identité de Saveliev. Pour une raison restée inexpliquée, Saveliev a été interpelé puis immédiatement remis en liberté sous contrôle judiciaire. Puis il s’est enfui en France, avec l’aide d’Ossetchkine. Dans leurs premiers échanges, alors qu’il était encore en Russie, Saveliev écrivait qu’il était prêt à remettre les enregistrements « à la demande des agents du FSIN contre une récompense monétaire ». Ossetchkine a versé environ 2 000 dollars à Saveliev, mais tous deux affirment que l’argent a servi à acheter un ordinateur portable pour le transfert des archives et que Saveliev aurait parlé d’ « agents du FSIN » pour faire diversion.
Il y a un autre élément curieux dans l’histoire de Saveliev. Entre août et octobre 2021, au moment où Ossetchkine rend publiques ces « archives secrètes » et organise l’évacuation de Saveliev, Gulagu.net reçoit plusieurs paiements conséquents en crypto-monnaie. Il s’agit de sept transferts pour un montant total de 709 000 dollars. Soit plus des trois quarts de tous les dons versés à l’organisation sur trois ans
Tsvetkov, qui travaille lui-même pour les autorités russes depuis des années, parle de manière allégorique de l’éventuelle coopération d’Ossetchkine avec le Service pénitentiaire : « Il y a toujours eu différents groupes et clans au sein du FSIN. Et ils se servaient de lui comme d’une bouche d’égout : il n’a jamais vérifié les informations ».
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Beaucoup de ceux avec qui Proekt s’est entretenu pour ce texte, y compris ceux qui ont eu un conflit avec le fondateur de Gulagu.net, lui reconnaissent des qualités médiatiques remarquables : il a attiré l’attention du public sur les violations des droits des détenus, et pour certains, les interventions de Gulagu.net ont incontestablement eu des résultats positifs. Au moins quelques-uns des cas de torture ou de décès de détenus décrits par Ossetchkine ont donné lieu à des condamnations des agents du service pénitentiaire, tandis que les « archives de Saveliev » sont probablement l’un des témoignages les plus convaincants sur la torture dans les prisons russes.
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Après la rencontre à Biarritz, les correspondants de Proekt ont tenté à plusieurs reprises de redemander à Vladimir Ossetchkine les documents et les preuves manquants. Le fondateur de Gulagu.net a de nouveau accusé la rédaction de « travailler pour le FSB » et a déclaré qu’il « n’autorisait pas la mention de son nom ». Proekt considère néanmoins que le récit sur le travail de l’un des défenseurs des droits de l’hommes russes les plus en vue depuis le début de la guerre est un sujet d’intérêt général.
Rédacteur — Roman Badanine
Fact checking — Alexey Korostelev